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Les blablateries de Juliette...
4 octobre 2011

Acte de vente

dessin_maisonBien sûr que ça ne pouvait pas continuer ainsi.

Bien sûr qu'il était trop faible.

Trop malade.

Trop, tout ce que vous voulez.

 

Mais, on n'est jamais prêt à laisser partir les gens qu'on aime. Jamais.

Encore moins, lorsqu'on s'apprête à donner la vie. Une naissance pour un décès, dit-on. Mon Dieu, que je déteste cette équation.

J'aurais voulu lui dire au revoir. J'aurais voulu le serrer dans mes bras, lui qui avait si peur de partir dans ce monde qu'il espérait meilleur. J'aurais voulu être là quand il s'est envolé. Lui dire tout ce que je ne lui avais jamais dit. Tout ce que son éducation pudique nous avait interdit de sortir. Qu'on l'aimait. Que je l'aimais. Que quoi qu'il arrive, il continuerait à exister. Par un souvenir, par une pensée, par le regard des enfants, par les traits communs qu'il partageait avec eux. Il resterait là.

Seulement voilà...

- Votre Voyoutou va très mal. Il faut rester couchée, m'avait-on dit. Interdiction de prendre la voiture.

Oui mais...

- Vous voulez que votre Voyoutou aille bien ?

Quelle question !

Dans ce cas-là, le choix est vite fait, non ? D'un côté, une petite vie trop fragile qu'il faut protéger coûte que coûte; de l'autre, une vie trop faible pour continuer la route.

Bien sûr que j'ai été égoïste.  J'ai espéré, prié, vénéré des Dieux sûrement inexistants, pour que lui, dans un état si misérable, ait un sursis. Juste quelques semaines, le temps que Voyoutou arrive, qu'il puisse le serrer dans ses bras et que je sois là. Une toute dernière fois.

Bien sûr que je n'ai pas été entendue. Le contraire aurait été inquiétant. Moi qui ne décrochais plus le téléphone de peur de l'APPEL, ai finalement abdiqué un beau matin de décembre. Et si c'était l'école pour Finette qui toussait ce matin-là ? Les mots ont été courts et durs.

- J'ai une triste nouvelle pour toi.

Je n'avais pas besoin de plus. Les larmes n'ont pas coulé tout de suite . Après les soucis de Voyoutou, de toutes façons, je n'en avais plus en stock.  Je suis restée anesthésiée. C'était fini. Bel et bien fini. Parti, il était parti. Pour toujours. Définitivement. Pas d'appel possible. Et moi, j'étais là, avec mon ventre empli de mon Voyoutou à me demander ce qu'il fallait maintenant faire.

Bien sûr que j'ai fait ma rebelle, que je suis allée à l'enterrement en me dandinant, priant le Ciel  que ce ne soit pas nocif à mon Voyoutou.  Bien sûr que je n'ai pas été entendue.

- Votre Voyoutou va mal.

Alors, j'ai décroché. J'ai casé ce deuil dans un coin de mon cerveau. Je me devais de ne pas y penser. Il ne fallait pas que je souffre. Voyoutou le sentait, le ressentait. Il n'avait pas besoin de ça, en plus.

Puis, tout s'est enchaîné. L'arrivée de Voyoutou, ses soucis, ses hospitalisations, puis le renouveau. Un Voyoutou en forme, des câlins à l'infini, du bonheur à l'état pur.

Mais le problème avec les décrochages, c'est qu'ils finissent toujours par vous rattraper un jour ou l'autre.

- La maison est vendue.

Maison ? Vendue ? Non, pas si vite ! Je veux encore m'y promener, sentir l'odeur de mon enfance au travers des petites pièces, me ballader dans mes cachettes secrètes, montrer aux loulous mes cabanes imaginaires, cueillir les mirabelles, y faire des bouquets de fleurs, capturer le moindre de mes souvenirs.

- C'est mieux comme ça. On ne va quand même pas la chauffer un hiver supplémentaire ! C'est un gouffre, une aussi grande maison !

Bien sûr que j'aurais voulu l'acheter. Bien sûr que l'Homme m'avait dit qu'on le ferait. Bien sûr, que moi, qui n'avais encore eu, ni la force, ni le temps de faire mon deuil, étais restée là-dessus.

- L'acheter ! T'es folle ou quoi ? me lança l'Homme d'une voix un peu trop aigüe à mon goût. Tu crois seulement qu'on a les sous pour payer la part des autres ?

J'ai toujours détesté les maths. Surtout quand, par la preuve irréfutable qu'ils apportent, vous prouvent que vos projets sont impossibles à réaliser. Qu'il faut laisser tomber, abdiquer, oublier.

Tout a été vidé. J'ai récupéré les moindres de mes petits attachements : mon bol de chocolat chaud, le rouleau à pâtisserie, sa canne d'aveugle transformée en tuteur à arbre, ses livres en braille, les puzzles princesses et la dinette pour Finette, les légos et jeux de société pour Coyotte, des photos pour Voyoutou afin qu'il connaisse son histoire.

- Ca va aller vite. Veulent emménager avant Noël.

Je ne verrai plus le jardin l'hiver. Voyoutou n'ira jamais fêter Noël là-bas. A part des têtées entre deux cartons, il n'y aura jamais rien connu d'autre. Nous n'assisterons plus à la douceur printanière, ni à l'éclosion des arbres du verger. L'image de Finette cueillant de merveilleux bouquets de fleurs s'estompera peu à peu, Coyotte filant à toute allure entre les arbres, également.

Je n'y verrai tout simplement plus rire mon père.

 

Allez, demain, ça ira mieux ...

 

 

 

 

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Commentaires
O
J'ai été touchée par votre texte ayant vécu la même chose il y a 3 ans : le décès de mon père alors que j'étais enceinte de 5 mois. Le temps passe et s'il n'efface rien, il adoucit toutefois la peine et nos enfants, ces petites boules de vie, sont là pour nous aider à continuer à avancer, nos souvenirs bien au chaud et leur avenir comme horizon. Courage !
A
Ton texte est très beau et très touchant. Pour se relever d'une perte, il faut beaucoup de courage et de volonté et ce n'est pas toujours évident... J'espère que tu trouves cette force auprès des tiens. Mes pensées t'accompagnent.
M
Tes mots à toi aussi sont beaux et si touchants...Bon courage à toi pour vivre avec ces souvenirs à la fois si chauds et sûrement si poignants...
V
Ton texte m'a beaucoup émue, je te souhaite plein de courage! Bisous!
L
Punaise, je suis toute remuée... Parce que tout ça je l'ai vécu il y a à peine 6 mois, mais sans Voyoutou dans le ventre. C'était déjà dur alors j'ose à peine imaginer ta situation. Que dire dans ces cas là, c'est difficile ... Je t'envoie toutes mes pensées et beaucoup de courage !
Les blablateries de Juliette...
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